Décembre découvertes : Elsa Gallahan

 
Sale jour pour une auteure

 

Mon corps croupissait au fond d’une benne à ordures. Dieu seul savait quand il serait découvert. Mon assassin avait bien pris soin de le recouvrir de sac emplis de détritus, et autres immondices malodorantes.
— Bien fait pour ta gueule ! Connasse ! avait-elle craché une dernière fois sur ma dépouille avant de claquer le couvercle de la poubelle sur mon cadavre.
Moi, réduite à l’état de fantôme, stationnant à côté de mon cercueil urbain, je la regardai s’exécuter, puis remonter dans sa voiture et repartir comme si de rien n’était.
À quel moment la situation avait basculé vers le cauchemar ?
Tout avait si bien commencé entre cette chroniqueuse littéraire et moi. Nous avions sympathisé sur Twitter alors que je faisais la promotion de mon deuxième roman, Les Cœurs Souverains, Tome 1, Les Indomptés ; une saga fantasy d’aventure et de romance. Je rééditais ce premier opus dans une version retravaillée et rallongée avant de sortir les tomes 2 et 3 sur lesquels j’avais bossé comme une malade tout l’été pour pondre leurs premiers jets.
Infirmière en milieu hospitalier de son état, j’avais compati à la situation difficile que traversait notre système de santé mis sous pression, voire exsangue par la pandémie de Covid-19. Un nouveau confinement nous pendait au nez au vu des courbes de malades et d’hospitalisations qui grimpaient exponentiellement depuis deux semaines…
Elle m’avait rapporté que mon roman avait été une vraie échappatoire face à son quotidien des plus compliqués. Elle l’avait tellement apprécié, et l’auteure derrière qu’elle avait émis le souhait qu’on se rencontre pour réaliser une interview informelle autour d’un café tant que cela nous était encore possible.
Elle avait su me mettre en confiance, et malgré mes phobies multiples dont celle du genre humain, j’avais fini par accepter cette entrevue.
Quelques heures avant le drame, nous nous étions donc posées dans le meilleur salon de thé de ma ville, où elle avait fait le déplacement.
Les questions et les réponses avaient rapidement fusé dans une ambiance décontractée de circonstance.
— Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ?
— J’ai toujours adoré lire depuis que j’en ai été capable. Et à l’adolescence sont nées les premières envies d’écrire mes propres histoires. J’avais commencé la rédaction de plusieurs récits, mais ne suis, à l’époque, jamais allée au bout d’aucun d’eux. Tout au long de ma vie d’adulte, des idées ont germé à droite et à gauche dans ma tête jusqu’à ce qu’à force de lire les romans des autres, cela me démange férocement de me jeter moi-même à l’eau pour de bon. Il aura encore fallu quelques coups de pouce du destin pour que je me lance enfin, et que je publie mon premier roman en autoédition, une romance fantastique à suspense : À L’Ombre De Ton Âme.
— Quels sont les auteurs qui t’inspirent ?
— Je ne sais pas si vraiment elles m’inspirent, mais je pense en premier lieu à Mary Higgins Clark et Agatha Christie qui sont des modèles. En revanche, moi qui pensais donc plutôt m’orienter vers des récits de pur suspens, ma plume s’est naturellement dirigée vers la romance associée à différents sous-genres comme la fantasy, l’historique, le feel-good... Avec le recul, je dirais que ces auteures ont sans doute influencé ma plume dans le sens où se mêlent souvent à la trame de mes histoires des éléments d’intrigues qui se dévoilent petit à petit au fil des pages.
— Et pourquoi une fin aussi abrupte au premier tome des Cœurs Souverains ?
J’avais fixé mon interlocutrice un instant, interdite, devant la sècheresse de son ton. (Bordel, cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille…) Mais elle avait alors affiché un visage des plus avenants qui avait rendormi aussitôt toute ma stupéfaction.
— Non, mais je ne dois pas être la première qui s’émeut d’une fin aussi brutale… s’était-elle reprise dans un sourire affable. Et excuse-moi si je t’ai paru un peu violente sur la forme, ce n’était pas voulu.
— Oh euh… Non ! Ça va ! l’avais-je bêtement dédouanée. Et effectivement, rares sont les lecteurs ou lectrices qui dans leurs retours, ne m’ont pas honnie pour cette fin. Mais j’avoue que pour ma part l’écriture est un phénomène magique. Je ne me considère que comme l’humble transcriptrice d’une histoire que les personnages viennent me compter au creux de l’oreille, donc je ne peux que narrer ce qu’ils me racontent…
— Oh, je vois…
Je ne la sentais pas totalement convaincue par ma réponse, mais elle avait enchaîné sur une autre question, et l’entretien à bâtons rompus avait perduré encore une bonne demi-heure, avant que je m’absente quelques minutes aux commodités.
Au retour, j’avais fini mon fond de chocolat chaud, auquel j’avais trouvé étrangement un goût amer. Me faisais-je sans doute des idées, avais-je estimé. (Mais non, grognasse !)
Ainsi donc, une fois dehors, à fond dans mon affaire, et comme elle avait lu également ma romance feel-good — que j’avais intitulée dans un moment de pure folie, « Je me suis lavé les mains avant de remonter mon pantalon » — entre temps, je lui avais proposé de l’entraîner dans une petite balade à la découverte des recoins de ma ville natale où se tenait l’action de ce roman, ce qu’elle avait accepté volontiers. (Tu m’étonnes !)
Mais parvenues en bas de la rue du Grand-Cloître où j’avais localisé l’appartement de mon héros, Éric Leroy, j’avais soudain été prise de vertiges.
— Oh, je suis désolée. Je ne me sens pas très bien d’un seul coup, avais-je signalé à mon acolyte.
— Tu veux qu’on s’assoie deux minutes ? m’avait-elle proposé aimablement.
— Oui, je veux bien, j’avoue, avais-je opiné.
Nous avions gagné un petit escalier en pierre quelques mètres plus loin en contre-bas, et nous étions assises côte à côte alors que le monde tanguait de plus en plus autour de moi.
Une fois confortablement installées, elle s’était alors adressée à moi d’une voix froide et implacable, et j’avais compris à ce moment-là que c’en était fini de moi.
— Jamais tu n’aurais dû finir ton roman de cette manière ! C’est tout simplement inacceptable ! Et aujourd'hui, tu vas le payer !
— Pardon ? avais-je marmonné d’une voix pâteuse, tout en tentant de la fixer de mes yeux papillonnants.
— J’ai drogué ton chocolat pendant que tu t’es absentée aux toilettes… D’ici quelques secondes, tu vas perdre connaissance. Mais avant, je veux que tu saches le sort que je te réserve. Quand je t’aurai injectée une seringue de potassium à dose létale, je vais te porter jusqu'à la première benne que je croiserai, j’en ai repéré quelques-unes… Je t’y jetterai comme l’espèce d’ordure que tu es, et ton cadavre finira à la décharge où des charognards se chargeront de ronger tes chairs jusqu’à l’os. Sale autrice de merde ! Tu es là pour nous vendre du rêve, nous permettre de nous évader pour quelques heures de nos vies de merde, et toi qu’est-ce que tu fais ? avait-elle vomi sur moi toute sa morgue, plus méprisante que jamais. Tss… Tu croyais vraiment te soustraire à tes responsabilités avec cette pseudo histoire de « simple transcriptrice » ? Tu es responsable de chacun des mots que tu poses sur le papier, et sache que ceux de la fin de tome 1 des Cœurs Souverains ont signé ton arrêt de mort ! Je sais qu’il n’y a aucun retour possible en arrière, et c’est ce qui me bouffe encore plus… Alors tu as mérité ton châtiment, sale crevure… Je ne te laisserai pas une autre chance de me torturer ainsi…
Au bord de l’évanouissement, dans une tentative désespérée de sauver ma peau, j’avais essayé de relever un bras alourdi par l’abrutissement vers elle, et d’articuler des mots pour lui expliquer que ce n’était que la fin d’un tome… Pas de l’histoire… Mais j’en avais été bien incapable…. Le noir avait pris le dessus.
Je n’avais même pas eu le temps de m’appesantir sur l’idée même de la mort. Aurai-je dû avoir peur, me débattre, ou au contraire me résigner ? Est-ce que j’aurais dû voir défiler toute ma vie dans mon esprit dans un chapelet de diapositives ? Rien de tout cela en fait… Le vide monumental de l’inconscience avait pris le pas sur tout le reste… Survivait juste un vague sentiment de stupeur… Rien de très mirobolant en soi… En tout cas, bien éloigné des idées romantiques qui circulaient sur le concept…
Venait-on de me voler à une mort qui aurait pu s’avérer plus glorieuse ? m’interrogeai-je un instant. À un trépas spectaculaire qui serait demeuré dans les annales de Thanatos ?
Bah… Je ne le saurai jamais… Je me tenais juste-là, pantelante, auteure impuissante à changer le cours de ma propre histoire, à côté de cette benne où elle avait enseveli mon corps sous des montagnes de déchets. Plutôt adroitement, devais-je bien lui reconnaître. On voyait qu’elle exerçait un métier où elle avait appris à mouvoir des personnes grabataires.
Triste constat au final : j’avais bel et bien perdu la vie, et ma meurtrière ignorerait à jamais quelle suite je réservais à mes personnages…
Bizarrement, peut-être, mes considérations se tournèrent ensuite vers ma minette qui m’attendait à la maison… Combien de temps durerait ce manège ? N’allait-elle pas mourir de faim et de soif si personne ne s’apercevait de ma disparition avant plusieurs jours ?
Et pourquoi n’avais-je pas écouté mes phobies comme à mon habitude ? m’admonestai-je. Ah oui ! Je sais ! Une infirmière, selon toutes mes conceptions, bien naïves visiblement, était habitée d’une âme humaniste et ne pouvait aspirer qu’au bien-être de son prochain. Comment dans ces conditions aurai-je été à même de m’imaginer que l’une d’elles en voudrait à ma peau parce que l’épilogue de l’un de mes romans l’avait… chagrinée ?… Quel doux euphémisme, n’était-il pas ?
Et puis je songeai aussi donc à toutes ces autres histoires qui me trottaient encore dans la tête — enfin dans quelle tête ? étais-je en droit de questionner de par mon statut actuel de revenante —, et qui ne prendraient jamais vie sous mes doigts.
Possiblement les emporterai-je avec moi dans une autre existence… Qui sait ? Et dans ce cas, est-ce qu’elles me vaudraient encore pareille mésaventure ? Si j’avais encore été pourvue d’une gorge, j’aurais très certainement avalé ma salive avec difficulté à l’évocation de cette éventualité…

 

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Romance/Humour

 

Romance/Fantastique

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Recueil de nouvelles dont le texte

« Voyage en Fa Majeur » a été primé en 2017

lors du concours Librinova/IDTGV

sur le thème « Le temps d'un voyage... ».

Nouvelle/Humour

Romance/Historique

 

 

Retrouvez Elsa Gallahan sur son Twitter.

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